Aimez-vous
Aimez-vous

Sauvez votre peau, aimez-vous !

Savoir s’aimer avant de pouvoir aimer les autres, ce n’est pas égoïste, c’est primordial !

Fabrice Midal nous raconte que, malgré la pression sociale pour ne pas être égoïste, il faut savoir s’aimer avant tout, il parle même de narcissime…

Narcissique ?

La psychanalyse nous a appris que le narcissisme consiste à s’aimer suffisamment pour vivre avec les autres.

Être narcissique, c’est se mettre à l’écoute de ce que nous vivons, de nos besoins, de notre expérience, pour pouvoir dire « non » quand nous ne nous respectons plus ou que nous ne sommes plus respectés. Autrement dit, puisque se rencontrer, se respecter et s’aimer s’avère toujours bénéfique, le narcissisme l’est également.

S’aimer non seulement ne conduit pas à faire du mal aux autres, mais permet au contraire de ne pas les écraser et de ne pas s’écraser non plus devant eux.

Donc, pour ne plus être victime des pervers, il importe d’être davantage narcissique. Comprenons bien que ces derniers ont complètement perverti le sens originel et sain du narcissisme. Au lieu de s’aimer, ils demandent aux autres de combler leur manque, de leur conférer une puissance qui, au fond d’eux-mêmes, leur fait défaut. Ils instrumentalisent les autres, étant incapables de les aimer et de les respecter.

Rappelons-nous que nous souffrons tous de ne pas être assez narcissiques, non de l’être trop.

« Il faut apprendre à s’aimer soi-même, telle est ma doctrine d’un amour entier et sain, afin de demeurer fixé en soi au lieu de vagabonder en tous sens. »

Friedrich Nietzsche

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Narcisse, le mythe

Le mythe « récent » de Narcisse est celui d’un jeune homme orgueilleux et vaniteux, tombé amoureux de sa propre image et puni par les dieux de s’être trop aimé. Vraiment ?

Durant l’enfance de Narcisse, tout est fait pour qu’il ne se connaisse pas – symboliquement, la légende raconte qu’il lui est interdit de se contempler. Au fil des ans, il acquiert une beauté sans pareille. Tous ceux qui le rencontrent adolescent tombent amoureux de lui.

Mais Narcisse ne sait pas qui il est, ni ce qu’il est. Il se vit comme un vilain petit canard qui ne se trouve pas du tout aimable. Comment croire les paroles de ses amoureux ? Il ne peut pas se faire confiance à lui-même, pourquoi ferait-il confiance aux autres ? Il ne se doute pas qu’il est aimable, n’a pas conscience de l’amour qu’il fait naître dans le cœur des jeunes hommes et des jeunes femmes auxquels il tourne le dos, les laissant dépités, malheureux.

Un jour, Narcisse se découvre.

Pour mieux nous parler, le mythe met cette découverte en images : au retour d’une journée de chasse, il se penche sur une source et voit, pour la première fois, son reflet dans l’eau. Qui donc est ce jeune homme qu’il n’a jamais rencontré auparavant ? Il le regarde, le trouve beau : il ignorait tout de sa propre beauté – nous ignorons tous notre propre beauté, alors que nous sommes si prompts à la voir chez les autres.
Il passe des jours à scruter ce reflet, à l’admirer. Il se « rencontre » et tombe amoureux de lui. De cet étranger qui n’est autre que lui-même. Quand il finit par se reconnaître, il touche une forme de jubilation et se transforme aussitôt en une extraordinaire fleur blanche au cœur d’or, la fleur de la joie pure, la première à éclore après l’hiver, qui porte désormais son nom : le narcisse.

Pour les Grecs, Narcisse était une joyeuse ode à la renaissance du printemps et à l’épanouissement de la nature, de la vie.

Beaucoup plus tard, sans doute sous le poids des théologiens chrétiens, Narcisse est puni par les dieux de s’être trop aimé. Il devient le symbole de l’abomination de l’amour de soi qui retranche au seul amour reconnu et validé par eux : celui de dieu. La morale de l’histoire, telle qu’elle subsiste de nos jours, est limpide : il est dangereux de s’aimer.

Depuis, Narcisse fut (et reste) systématiquement accablé.

Mais meurt-il vraiment ? Dans la mythologie grecque, la mort des héros est soit leur annihilation, soit le début de leur descente aux enfers. Or, il n’est pas question d’enfers dans le mythe de Narcisse.

La splendeur de la légende grecque est, en réalité, celle de la métamorphose et de la renaissance, non pas celle de la mort et de la disparition. De l’épanouissement dans une fleur qui revient chaque année aux premiers jours du printemps et signe la fin de l’hiver pour que s’épanouisse la nature. Une fleur qui est symbole de l’éclosion de la vie. Une fleur de surcroît connue depuis les Grecs pour ses vertus médicinales apaisantes…

En conseillant à Narcisse de ne pas se connaître, il ne lui interdit pas de se reconnaître et de découvrir l’humanité en lui, de se livrer au bel exercice du « Connais-toi toi-même ».
Par contre, il le met en garde contre le piège de l’enfermement dans une identité figée («Je suis homme, beau, jeune, fils de nymphe…»). Un carcan qui dissimule ce que l’on est vraiment, au fond de soi, et qui interdit l’accès à la sagesse symbolisée dans la prophétie de Tirésias – la vieillesse promise à Narcisse s’il ne s’enferme pas.

La légende de Narcisse n’interdit pas de s’aimer. Au contraire, elle raconte la nécessité, voire l’obligation de se rencontrer. De s’accepter. De faire la paix avec soi plutôt que de rester morcelé. Quand il voit pour la première fois son reflet dans le plan d’eau, Narcisse ne se reconnaît pas : ce reflet est pour lui celui d’un étranger.
Curieux ? Au contraire ! Vous ne vous êtes jamais vus parce que vous n’avez pas appris à vous regarder.
Comme Narcisse qui ne se doute pas que ce jeune homme digne d’amour, ce jeune homme dont les autres sont amoureux à en perdre la raison, c’est lui.
Il est étranger à lui-même : comment le saurait-il ? Nous sommes pour nous-mêmes des étrangers. On le dit indifférent, on le trouve orgueilleux ; il est seulement ignorant. Il se découvre peu à peu, en se mirant dans la source.

En se regardant, il se trouve beau et il l’est ; aimable, et il l’est aussi. Son cœur commence à se dégeler. Il acquiert la capacité d’aimer, donc de s’ouvrir au monde et de recevoir de l’amour. Il s’aime et se métamorphose.

Un gros mot, Narcisse ? Étrange malentendu…
On peut croire qu’être narcissique est une faute, une erreur et, plus grave encore, une perversion. Un frein puissant à l’empathie et à la capacité de se tourner vers les autres. Un problème majeur de notre temps qui nous aurait conduits à forger une société égoïste, une société où l’on souffre de dépression et de déficit d’attention, où l’on meurt de burn-out et d’épuisement – les maladies majeures de notre temps, celles qui ont remplacé, au palmarès de la mortalité, les virus du siècle dernier.

Examinons-les de plus près, ces maladies. Sans les œillères dont nous avons hérité. Une évidence s’impose : elles sont directement liées à l’auto-exploitation des êtres humains, c’est-à-dire à leur exploitation par eux-mêmes. À notre aveuglement, à notre incapacité à nous regarder, à nous écouter, à voir que notre corps et notre esprit ne suivent plus et nous appellent à l’aide, au repos.

Nous n’avons jamais appris à avoir de la bienveillance envers nous-mêmes, à nous aimer, à nous étonner.
Enfant, quand j’étais en colère, on ne me demandait pas ce que je voulais vraiment ; on me disait, comme à tous les enfants : « Va dans ta chambre et calme-toi ! »
Au collège puis au lycée, ce n’était jamais « Regarde en toi », mais plutôt « Tais-toi ! ».
Au travail il fallait suivre, se plier aux règles de l’hyper-performance.
Au risque de se brûler, sans jamais s’écouter ni se ménager…

Nous ne savons même pas nous respecter : nous nous méprisons sans toujours nous en rendre compte.
Nous sommes durs avec nous-mêmes, bien plus durs que nous oserions l’être avec quiconque d’autre.
Nous ne nous écoutons pas et nous attendons de l’autre qu’il nous écoute.
Nous ne trouvons pas la paix en nous, et nous en voulons aux autres de ne pas nous foutre la paix, ni nous apprécier. Mais est-ce que nous nous foutons nous-mêmes la paix ?

Narcisse nous parle, quant à lui, de l’extrême difficulté où nous sommes de dire « je ».
Narcisse y est une figure de renouveau de la vie, symbolisée par la fleur qui porte son nom et qui est l’une des premières à sortir de la terre pour annoncer le printemps.
Narcisse est devenu ainsi le signe de la vie qui triomphe.
Narcisse nous parle de la tendresse perdue et manquante qu’il nous faut apprendre à reconquérir.

Le mythe de Narcisse permet ainsi de repenser l’énigme qu’est pour chacun d’être, d’être celui que nous sommes, celui que nous avons à être, de sentir que nous avons pleinement le droit d’être.

Narcisse, mon modèle

Notre société nous impose sa règle impitoyable que j’appelle une malédiction : soyons modestes ! Nous l’avons tellement bien intégrée que nous n’osons pas, ou si rarement, nous reconnaître un talent, une force, des capacités, un génie.

Le réveil narcissique fut, pour moi, l’équivalent du baiser donné par le Prince Charmant à la Belle au Bois Dormant pour la sortir de son long sommeil. Je suis sorti de la léthargie dans laquelle j’étais plongé et j’ai vu notre monde peuplé de robots programmés pour « faire » et encore « faire », jusqu’à ce que leurs batteries s’épuisent et les mettent hors-service. Des machines et non plus des êtres dotés de vie, de passions, de rejets, d’envies.

J’étais un robot ; j’ai pris le temps de faire connaissance avec l’être humain en moi. De m’observer dans ma vie quotidienne. J’ai reconnu les rôles derrière lesquels je me dissimulais, des personnages comparables aux masques du théâtre antique.
Qui suis-je ? Patron ou salarié, marié ou célibataire, jeune ou vieux, actif ou paresseux, surdiplômé ou détenteur d’un CAP… J’ai identifié ces modèles virtuels que je m’épuisais, en vain, à imiter. Des images qui n’existent pas dans la réalité, des idéaux artificiels que me renvoyaient les livres, les films, les magazines, et auxquels j’avais fini par croire, m’échinant à leur ressembler. Cette prise de conscience m’a complètement réveillé.

La première leçon que m’a donnée Narcisse était l’impératif de me connaître. La deuxième, tout aussi surprenante, fut le droit que j’avais d’être, d’être pleinement, d’être comme je suis, d’être heureux. Gratuitement heureux, inconditionnellement heureux. Ici et maintenant. Tout de suite et sans remords. Sans honte. Sans culpabilité.

Dans notre culture occidentale, le bonheur est la cerise sur le gâteau. Pour l’obtenir, il faut d’abord confectionner le gâteau : se sacrifier, travailler, agir selon la vertu. Le bonheur viendra ensuite, en guise de récompense. Il sera le « ouf » de soulagement qui nous échappe… après, une fois que nous avons terminé (et réussi) notre tâche. Dans l’au-delà si nous avons mené une vie exemplaire, selon le christianisme et la plupart des religions.
Pour les générations futures, le bien commun et la patrie, selon le communisme. Pour acquérir, plus tard, une grande maison, une belle voiture, des vêtements de marque et des vacances sous les tropiques, donc consommer, selon le capitalisme. Au fond, ce gâteau, il arrive très souvent qu’on ne le goûte même pas.
Alors, la cerise…

Cette idéologie a été confortée par la dictature de la performance qui prévaut dans nos sociétés. Ensemble, elles ont formé un cocktail catastrophique qui nous empoisonne : nous sommes convaincus que nous pouvons toujours faire mieux, tout le temps (un meilleur gâteau, de meilleures performances sportives, de meilleures notes en classe, un meilleur contrat, une plus belle voiture…), et que nous ne réussirons que dans la douleur.
Nous ne considérons jamais qu’un moment est accompli et vivons, de ce fait, dans une perpétuelle insatisfaction : non, « ça ne va » jamais assez parfaitement. Oui, on peut toujours mieux. Satisfait ? Mais de quoi ? Travailler dans le bonheur plutôt que dans la tension, dans l’enthousiasme plutôt que dans l’angoisse, nous semble suspect : cela ne pourrait être que le fait de ceux qui ne se donnent pas à fond dans leur travail, les paresseux, les incompétents, les ratés, peut-être aussi les artistes.
Être sous pression, débordé est devenu un signe de compétence.
Nous marchons sur la tête…

Le bonheur n’est pas la cerise sur le gâteau, il est le gâteau en train d’être confectionné ; il n’est ni un égoïsme ni une frilosité, mais une condition de la réussite. Nous sommes suspicieux quand les défis sont relevés dans la joie plutôt que dans la peur. Et nous refusons d’admettre ce qui est pourtant une évidence : les victoires les plus spectaculaires sont portées de bout en bout par l’enthousiasme et non par l’angoisse.

Je suis heureux quand je suis qui je suis. Pleinement moi, sans me dissimuler par peur, ni faire semblant par conformisme, pour plaire aux autres.
C’est la troisième leçon du narcissisme. Une leçon qui implique un grand discernement et beaucoup d’intelligence pour découvrir vraiment ce que je suis. J’ai personnellement appris à m’écouter simplement, sans jugement, avec juste une fine attention, à travers la méditation – mais ce chemin qui a été mien n’est pas une voie exclusive. J’ai cheminé doucement et, au fur et à mesure que je découvrais qui j’étais, j’apprenais à vivre en adéquation avec ce moi qui cessait de m’apparaître honteux ou terrifiant.
Dans la paix.
Rien de ce que m’a donné la vie, par la suite, ne serait advenu sans cette écoute préalable.

Nous avons l’énorme privilège de vivre dans une société beaucoup moins conformiste qu’autrefois et nettement plus tolérante qu’un certain nombre de sociétés de notre temps. Elle nous autorise à être singuliers, indépendamment des carcans du groupe, de la classe sociale, de la famille. Le défi consiste, pour chacun d’entre nous, à nous emparer de la liberté qui nous est octroyée, à habiter vraiment notre singularité, ou plutôt nos singularités.

Narcisse, mon modèle, n’est pas une théorie, il n’est pas un slogan, il n’est ni une méthode ni une recette, il n’a pas de mode d’emploi. Il est une image que nous avons à habiter par une démarche volontaire, une musique qui guérit en remuant quelque chose en nous, en nous poussant à aller plus loin pour identifier ce quelque chose et l’aider à grandir. Il n’est pas un souhait qui aurait pour effet de nous terroriser (« Sois heureux », « Fais-toi des amis », « Détends-toi »), mais une invitation à se faire confiance pour s’engager doucement sur la voie de la transformation.
De l’accomplissement…

Socrate

Je suis génial, vraiment génial. J’ai, tous les jours ou presque, l’occasion de le constater. Je ne vais pas me cacher derrière une fausse pudeur pour le taire. En l’affirmant, je ne commets pas une faute d’orgueil, je ne prends pas non plus le risque de sombrer plus que d’autres dans ce que l’on me dit être les perversions de notre société contemporaine: l’individualisme et l’égotisme que nous aurions érigés en valeurs suprêmes.
Chose qui reste d’ailleurs à prouver…

« L’amour de soi, c’est l’amour naturel. La méconnaissance de l’amour de soi est une folie. »

« Quand le narcissisme est trop faible, mon jugement est toujours tourné vers le réel, vers ce qui se passe, et je n’ose plus rien faire. Je ne peux être dans aucune vraie gaieté. Je ne peux pas me dépasser. »

Se harceler est un délit

J’étais jeune adulte quand j’ai peu à peu compris qu’il était possible d’apprendre à s’aimer. Mais j’ai cru, pendant un temps, qu’il fallait pour cela essayer d’être gentil avec soi. L’affaire me semblait simple : il me suffirait de me répéter par exemple, de temps en temps, que j’étais beau ou intelligent.

Mais ça ne marchait pas. Je ne me trouvais toujours pas beau ni intelligent. J’étais tout disposé à m’aimer mais j’étais incapable de ressentir cet amour.

J’en ai pris conscience beaucoup plus tard, un jour où je courais tête nue sous la pluie, en me traitant d’idiot : la météo avait annoncé des orages, mais j’avais oublié mon parapluie. Je suis arrivé au bureau trempé – et laminé d’injures. Par jeu, je me suis amusé à compter le nombre de fois où je me suis pris, ce jour-là, en flagrant délit de harcèlement. Il m’a bien fallu reconnaître que j’étais franchement acariâtre à l’égard de ma personne.
Une attitude qui m’aurait scandalisé s’il s’agissait de quelqu’un d’autre, mais qui, envers moi-même, me semblait dans l’ordre des choses.

Se rendre compte de la manière dont nous nous traitons est une étape indispensable.

Je me regarde avec le recul. J’étais, envers moi-même, à l’image de ces couples où le mari (ou la femme) répète à l’autre, en toute bonne conscience, « Oui je t’aime », mais déverse un déluge de critiques implacables : il n’y a plus de café (donc c’est ta faute), les enfants se sont mal comportés (parce que tu les as mal éduqués), tu t’es mal tenu(e) hier chez nos amis, tu aurais pu avoir cette promotion si tu avais consenti un minimum d’efforts, tu es mal habillé(e) et les autres sont élégants, je n’ai pas tiré le gros lot avec toi.

Je me terrorisais, persuadé que les coups de pied ou de cravache étaient le seul moyen de m’améliorer. Je ne m’améliorais évidemment pas. Les pédagogues savent aujourd’hui que la peur et les humiliations sont contre-productives : un enfant placé dans cette situation ne progresse pas ; au contraire, il répète ses erreurs, voire les multiplie à l’envi.
Le harcèlement, quand il se répète et se prolonge dans le temps, peut même produire des troubles non seulement émotionnels mais aussi cognitifs : mis en état d’infériorité, abîmé, l’individu réagit de manière confuse, au détriment des tâches qu’il accomplit. Or, c’est exactement ce processus qui se met à l’œuvre quand nous nous auto-harcelons. C’est-à-dire quand nous faisons usage de cruauté envers nous-mêmes. Mais nous refusons d’en voir les conséquences…

C’est vrai, je commets des erreurs. Est-ce une raison pour m’agresser aussi brutalement, comme je n’oserais le faire à l’égard d’une tierce personne ? Je me suis mis en colère, j’ai été désagréable. Je peux le regretter, m’excuser, réparer mon erreur du mieux possible, je dois d’ailleurs le faire, parce qu’un tel comportement a été indigne de moi, mais ai-je besoin de ressasser, de ruminer, de me dévaloriser et de toujours me considérer comme nul ?
Non seulement ce comportement m’empêche d’avancer, mais, même, il m’enfonce.

Nous ne nous en voulons pas seulement de ce que nous faisons, mais aussi, plus globalement, de ce que nous sommes.

La terreur que nous nous infligeons nous rend, de surcroît, injustes. Envers nous-mêmes quand, en bons procureurs staliniens, nous nous attribuons quantité d’erreurs et de défauts, certainement bien plus que nous n’en avons réellement, et commençons à nous taper sur les doigts.
Envers les autres quand, dans une dérisoire tentative d’échapper à l’auto-flagellation, nous avons un réflexe enfantin et essayons de nous défausser : « Ce n’est pas ma faute, c’est celle de l’autre. » Nous nous débattons entre le vrai et le faux, l’essentiel et le secondaire.
L’auto-harcèlement nous aveugle.

À force de nous dévaloriser et de nous maltraiter, nous acceptons d’être dévalorisés et maltraités par tout le monde : combien, parmi nous, restent convaincus qu’ils ne valent pas grand-chose, ne sont pas dignes d’être aimés, incapables d’être performants, et ne méritent donc pas meilleur destin ? Combien renoncent ainsi à être heureux, à aimer, à être aimés ? Je suis seul ou enchaîné à un conjoint toxique, je suis au chômage : je ne suis pas à la hauteur, c’est bien fait pour moi.
Par manque de confiance en nous, en nos capacités, en la vie, nous n’osons plus dire non.

Se harceler est une habitude, un geste machinal que l’on effectue sans même s’en rendre compte.

Votre premier travail consiste à désamorcer les mines que vous posiez sur votre chemin, insidieusement et sans s’en rendre compte. À repérer, au quotidien, vos mille façons de vous maltraiter, vos mille manières de vous rabaisser. Vous apprendrez ainsi à vous regarder, à vous écouter. Donc à devenir narcissique. Vous vous autorisez à vous découvrir des qualités – celles-là mêmes que les autres vous reconnaissaient mais auxquelles vous étiez aveugle, que vous refusiez de reconnaître.
Vous admettez que vous n’étiez pas si médiocre, vous avez commencé à vous faire confiance, à vous aimer comme on aimerait son enfant.

Quand j’ai de l’affection pour moi, je peux admettre ma faute sans cesser, pour autant, de m’aimer. Je me dois d’ailleurs de le faire : en commettant cette faute, je n’ai pas été à la hauteur de la personne formidable que je suis. Je ne m’excuse pas d’être un incapable, je m’excuse de n’avoir pas agi à la mesure de ce que je suis. Je m’excuse auprès des autres, mais je dois, de la même manière, m’excuser auprès de moi-même quand je me suis manqué de respect.

Je n’en reviens pas quand j’entends nos experts répéter que notre temps est celui du sujet-roi, individualiste et narcissique, d’abord soucieux de son bien-être. Ces sujets-rois, je ne les vois pas. Je ne vois que des clones de mon ami, pris dans la spirale du mal-être, souffrant et n’osant pas avouer leur souffrance qu’ils perçoivent comme une faiblesse de plus. Des personnes qui peuvent se prétendre respectables mais ne savent pas se respecter elles-mêmes. Je ne vois pas de sujets-rois, je vois des martyrs d’abord victimes d’eux-mêmes. Incapables de s’arrêter, de s’écouter, d’entrer en rapport à soi, de s’aimer. De dire non.

« Être nous-mêmes dans un monde qui tente de faire de nous ce que nous ne sommes pas, voilà notre plus grand accomplissement. »

Ralph Waldo Emerson

Se pardonner d’être imparfait

Nous aimons les autres pour ce qu’ils sont, comme ils sont. Par contre, notre jugement sur nous-même est implacable : nous ne parvenons pas à nous aimer comme nous sommes, pour ce que nous sommes. Un test très simple est celui de la photo : comment se fait-il que tous les autres soient forcément radieux et formidables, sauf moi qui ai une sale tête ? Nous restons rongés par la culpabilité de ne pas être à la hauteur de ce que nous croyons devoir être.

Mon couple ? Je le rêve à l’image de la perfection que me renvoient les romans, les films, les magazines. Ils m’ont par ailleurs appris qu’un parent idéal est toujours détendu et qu’il raconte chaque soir une histoire à ses enfants, au moment de les mettre au lit. Or, je ne suis pas toujours détendu, et je n’ai pas tous les soirs la disponibilité ni l’envie de raconter un conte de fées. Je ne suis pas un parent « idéal » : cela signifie-t-il que je suis un mauvais parent ?

Nous demandons pardon et attendons des autres qu’ils nous pardonnent – y compris les fautes que nous n’avons pas commises. Nous sommes coupables de tout.

Quand je me pardonne mes erreurs ou mes imperfections, je ne m’en dédouane pas, je ne les nie pas, au contraire. Je n’essaye pas non plus de me convaincre que « ce n’est pas grave », ni que j’ai fait de mon mieux et que je n’ai rien à me reprocher : on le sait tous d’expérience, ces tentatives-là sont vaines et n’aboutissent qu’à nous faire ployer encore plus sous le poids de la culpabilité d’avoir « échoué ».

Se pardonner n’est pas une démarche abstraite, elle ne se produit pas dans l’intellect mais dans le tréfonds des émotions, geste d’autant plus difficile qu’il implique une mise à nu : je ne peux pas me pardonner sans toucher ma vulnérabilité, mon imperfection, et avoir le courage de les affronter. Sans accepter de rentrer en rapport avec des blessures que j’aurais préféré ignorer, avec ma réalité qui est très éloignée de celle du modèle auquel j’aspire à ressembler. Je m’en voulais de toutes mes tripes, je dois me pardonner de toutes mes tripes. Me réconcilier avec moi-même, avec ce moi que j’ai peur de regarder de trop près : le moi vaniteux, mesquin, frileux, le moi faillible. Se pardonner n’est pas une affirmation ni une intention, c’est un processus qui me mène à accepter d’être juste un humain, un être fragile, un être perfectible.

Se pardonner, c’est avoir la lucidité de se regarder, dans une plongée narcissique en soi…

S’autoriser à se pardonner ne permettra évidemment pas de remonter le temps : l’erreur a été commise. Mais, plutôt que de m’enliser dans les regrets, je vais en tirer les leçons et, à partir de là, grandir plutôt que me nécroser. Me reconstruire plutôt qu’être empoisonné par le passé. Prendre la mesure de cette erreur et m’engager à me transformer.
Passer à une autre étape.
M’apaiser pour avancer.

Je me pardonne mais je ne serai jamais parfait : mes imperfections sont, aussi, le signe de mon humanité. Mais je vais me libérer du poids de la culpabilité. Cesser de me ronger inutilement, de vivre dans la terreur de la faute et les « j’aurais dû » du regret. Je vais m’autoriser à être ce que je suis, avec mes défauts et mes qualités. Je vais m’aimer, comme un parent aime son enfant bien qu’il soit conscient que celui-ci n’est pas parfait. Me pardonner d’être trop humain et, par certains aspects, carrément raté. Je vais me foutre la paix sans être dans la peur permanente de ne plus être aimé. Je vais autoriser le souffle de la vie à revenir en moi et connaître enfin le soulagement d’être qui je suis, de penser ce que je pense, de faire ce que je fais.

Nous sommes d’ailleurs trop souvent déçus par ce que nous faisons : c’est toujours en dessous de ce que nous «aurions pu» faire, de ce que nous avions idéalisé.
Et nous nous en voulons : « Je suis désolé(e)… »

La méditation, qui a été mon chemin vers le narcissisme, n’a rien transformé en moi. Elle a fait bien plus que cela : elle a radicalement transformé le rapport que j’ai avec moi. Je me suis pardonné d’être imparfait, médiocre par bien des aspects, de ne pas être toujours à la hauteur de mes aspirations, de ne pas correspondre à l’idéal abstrait que j’avais intériorisé.
Je me suis aimé avec ma médiocrité quand j’ai réalisé qu’elle n’est pas une monstruosité, mais un indice de mon humanité. J’ai cessé de m’empoisonner, de me ronger sans même m’en rendre compte, je me suis fait confiance pour avancer.
Je me suis retrouvé et j’ai enfin pu donner.

Je ne suis toujours pas le mari idéal, le fils idéal, l’homme parfait. Je ne corresponds à aucun modèle, je commets des erreurs, mais j’apprends à les regarder avec tendresse. Je les observe sans être paralysé par la peur, sans craindre les conséquences, sans me ronger, je les comprends et je me pardonne.

Et c’est, je l’ai constaté, le seul moyen de ne plus jamais oublier le café…

 

« L’amour de soi est le seul amour. »

Simone Weil

La grenouille et le bœuf

Car, contrairement à Narcisse, contrairement à ce que nous croyons, Donald Trump ne s’aime pas ; il est dans une inquiétude constante, dans un doute profond quant à sa propre identité. Il s’est forgé une image extérieure dont il a une vision grandiose, une armure qu’il doit en permanence consolider afin d’éviter de se voir, de se toucher, dont il a viscéralement besoin pour se protéger de son moi qu’il ignore et qui donc l’effraye.
En réalité, Donald Trump souffre d’une cruelle déficience de narcissisme.

Trump, la grenouille de la fable, les autres grenouilles que nous croisons au quotidien, ne sont pas des personnages narcissiques, mais vaniteux. Des individus qui ne se sont jamais rencontrés, par crainte de découvrir leurs imperfections. De ce fait, ils n’ont pas rencontré, non plus, leurs qualités. Sans doute sont-ils géniaux, nous le sommes tous. Mais ils ne se sont pas accordé la chance de repérer le génie en eux. Ils attendent que les autres pallient ce manque, leur donnent ce qu’ils n’osent pas aller trouver en eux-mêmes.

Le narcissique cherche la réponse en lui, et il se fait suffisamment confiance pour ne pas avoir à se poser perpétuellement la question.
Le vaniteux la cherche ailleurs, doute, cherche encore, cherche toujours…

Comme un enfant dans le noir, il avait peur. Peur de lui-même. Il craignait, en se regardant, de découvrir un monstre. Mais les monstres n’existent que dans les contes. Dans la réalité, il n’y a que des êtres imparfaits, riches aussi bien de leurs qualités que de leurs imperfections. 

Je ne voudrais pas que l’on confonde la vanité de ces grenouilles avec l’orgueil. La vanité est une ridicule fatuité ; le sentiment d’orgueil, lui, est légitime quand il est bien placé. Comme le narcissisme, il a été conspué par des siècles d’une moralisation aveugle qui nous a interdit de nous aimer et a condamné quiconque tirait fierté du moindre de ses accomplissements. À l’orgueil naturel de l’accomplissement ont été opposés la modestie et l’humilité, le retrait et les regrets. À celui ou celle qui était fier de ses résultats en classe, des légumes particulièrement goûteux de son jardin ou de sa nouvelle coiffure qui lui seyait si bien, il nous semble normal, encore aujourd’hui, de renvoyer un « Peut mieux faire » qui, au lieu de l’encourager à aller encore plus loin, risque dans bien des cas de l’amener à baisser les bras.

La vanité est un aveuglement permanent, lancinant. Elle naît d’une rupture avec son moi, avec la source de vie en soi. Elle est aussi et surtout une forme de lâcheté, de bassesse et de soumission. L’orgueil est le fruit d’un regard lucide porté sur soi : ici, j’ai été brutal, j’ai commis une erreur que je dois réparer. Là, je m’en suis très bien sorti, je me dois de me féliciter. Je n’ai pas besoin que l’on me renvoie une image formidable de moi, je sais que j’ai été formidable et j’ai eu raison de persévérer. Me sachant formidable dans ce que j’ai réalisé, je n’ai pas besoin d’écraser les autres, ni de les mépriser.
Je n’attends pas leur regard pour être…

L’orgueil est un acte de confiance, confiance dans ce que je sais avoir à faire, dans ce que je sens. Souvent on accuse d’orgueil ceux qui sont animés d’un allant, d’une force, qui veulent faire des choses, faire bouger les lignes.

« Quand un homme est crispé par son amour-propre, c’est parce qu’il n’est pas encore né, parce qu’il n’a pas rencontré un regard assez pur pour pouvoir aimer son véritable visage. »

Maurice Zundel

Ego : le piège d’un mot

« Il faut tuer l’ego. »
L’ego est devenu une sorte de vide-poches dans lequel nous déposons tout et n’importe quoi : nos peurs, nos angoisses, nos imperfections, nos irritations, nos erreurs.

Trop, beaucoup trop d’apprentis méditants expriment cette demande en s’engageant sur le chemin. Trop, beaucoup trop de pseudo-gourous pointent un doigt accusateur sur les personnes qui les sollicitent : « Vous avez un petit problème avec votre ego. » Trop, beaucoup trop d’ouvrages de spiritualité et de développement personnel nous expliquent, avec force démonstrations, qu’une fois l’ego maîtrisé, nous pourrons avancer paisiblement sur le chemin du bonheur.

La notion d’ego nous aveugle, comme l’idée du diable aveuglait nos ancêtres.

La découverte du bouddhisme par l’Occident s’est faite à travers le prisme de cet héritage. Nous en avons gardé le pire : le mot ego qui, effectivement, existe dans les textes, mais nous l’avons détourné de son sens pour l’accommoder à notre sauce. L’ego bouddhiste désigne une construction à partir de cinq agrégats : la forme, la sensation, la perception, la volition et la conscience. Une construction illusoire, éphémère, appelée en permanence à se dissoudre puisque je suis toujours autre, mouvant, changeant, insaisissable. L’ego n’a pas de réalité. L’ériger en source de tous nos malheurs et mobiliser nos énergies dans la curieuse intention de le tuer est plus que malsain : absurde. Imaginer que l’on réussira, au terme de je ne sais quelle ascèse, à le détruire pour devenir parfait est, à mon sens, le sommet de la vanité.

Le mot ego était le symptôme d’un problème majeur : la haine que je continuais de me porter.

Je me suis progressivement libéré de ce piège, non par un grand saut dans le vide, mais en m’imposant un exercice qui, au fond, n’est pas très compliqué : j’ai adopté une plus grande précision dans mon vocabulaire. J’en ai banni l’ego, cette entité insaisissable et effroyable aux contours tellement flous qu’elle ne signifie plus rien. J’ai utilisé des mots plus simples, des mots « normaux », plus proches de la réalité.

À la place d’ego surdimensionnés, j’ai vu et désigné l’égoïsme, la vanité, la jalousie, l’extrême émotivité, les erreurs.
À la place d’ego blessés, j’ai touché des peines et des chagrins. La notion d’ego incluait une condamnation globale de l’image de moi ou de l’autre, une image qui était rendue fixe, statique, cruelle. Une illusion qui m’empêchait d’accéder à la réalité de ce que je suis, de ce qu’est l’autre. Une tromperie dans laquelle j’étais, moi aussi, englué. Au-delà du mot, je me débattais avec les fausses conceptions que l’on m’avait implicitement enseignées.

Soyons lucides – et objectifs. Je ne suis pas entièrement colère, je ne suis pas entièrement jalousie ou susceptibilité, je peux avoir des colères, être jaloux ou susceptible. En désignant mes faiblesses, je les identifie, je les cerne. En travaillant directement sur elles plutôt que sur une monstrueuse entité bien dissimulée que nous nommons ego, en me distinguant de cette entité, je reconnais avoir en moi des ressources pour agir, pour réussir. Je ne vais pas tuer ma colère ou ma jalousie (quelle absurdité !), je vais les reconnaître, les désigner, les observer. Mon rapport avec elles en sera immédiatement plus apaisé. Mon travail sur elles, plus efficace. Mon ego n’est pas blessé : j’ai été blessé par telle parole et, en me regardant comme Narcisse, je vais identifier la raison pour laquelle cette parole m’a blessé et m’a amené à réagir de manière inconsidérée.

Notre vocabulaire nous empoisonne. Nous utilisons trop de concepts creux, vides de sens, des pièges que nous avons hypertrophiés et érigés en réalité : l’ego, l’estime de soi, le lâcher-prise. Ils sont une forme de renoncement, une paresse intellectuelle et émotionnelle qui nous interdit d’avancer. Quelle est cette prise que je dois lâcher ? Désignons-la ! S’agit-il de mon impatience, de ma propension à trop en faire, à aller trop vite, à oublier les autres pour me centrer sur moi ? En la désignant, en la nommant, je peux commencer à travailler. Et ce soi que l’on me demande d’estimer, qui est-il ? S’agit-il de ma générosité, de mon envie d’aider, de mon intelligence, de mon objectivité ? Je peux estimer ce qui est effectivement estimable en moi, et cela m’aidera à m’aimer.

Non, je ne suis pas d’emblée formidable: j’ai des possibles en moi qui sont formidables. En m’agrippant à eux, je vais escalader la montagne et me découvrir formidable. Non, je n’ai pas un ego qui me rend colérique : il y a des situations auxquelles je réagis par la colère et, en travaillant sur elles, sur ma colère, je vais parvenir, sinon à la dépasser, du moins à la comprendre. Je ne m’aime pas entièrement, je ne me trouve pas entièrement génial. Mais j’ai identifié des aspects en moi que j’aime, je me suis découvert du génie, j’ai pu accéder à une forme de bonheur et de confiance, continuer d’avancer dans ma vie. Je suis génial!

Cessons de nous défausser sur des concepts. Mon ego ne me manipule pas et il n’agit pas à travers moi : il n’existe pas. Me regarder, me reconnaître, m’aimer, me découvrir, me faire confiance, ne peut pas, comme je l’entends encore trop souvent, être un obstacle à la paix et au bonheur que je recherche en moi. Au contraire !

Le sens le plus profond d’aimer est ainsi résumé par Aristote : « Tu m’es cher. » C’est tellement simple de vivre la paix…

« Nous ne faisons pas confiance à notre individualité. C’est l’un de nos problèmes les plus graves. Nous prenons peur dès la moindre rupture avec un mode de pensée conformiste. »

Chögyam Trungpa

S’aimer, c’est se dire entièrement oui

Je sais que je les aime parce qu’il y a des moments où, quand je suis avec eux, quand je pense à eux, je ressens profondément ce sentiment. Il ne se mesure pas à son intensité émotionnelle, mon cœur ne bat pas la chamade quand je les vois, je n’éprouve pas une passion pour eux, mais bien plus que cela : un amour durable qui, s’il devait être mesuré, le serait à l’aune de la confiance et du bonheur que j’ai souvent (mais pas toujours !) d’être avec eux. Je me réjouis de les voir.

Ils m’énervent parfois, il m’arrive à certains moments de ne plus pouvoir les supporter, mais c’est sans importance : j’ai à nouveau envie de les retrouver, je les aime sans rien attendre en retour. Pas toujours avec la même intensité ni de la même façon, car telle est la vérité du cœur humain.

L’amour en continu, lui, est un mythe, il n’existe que dans les romans à l’eau de rose. Prétendre le contraire est inutilement culpabilisant ! Dans la réalité, l’amour est mouvant, il est vivant, comme notre état d’esprit, parfois plus joyeux, d’autres fois un peu plus triste. Au fond, il n’est qu’expériences qui se vivent dans le présent. Il est ouvert, il n’est pas une prison. Il est inconditionnel, il n’est pas absolu. Il n’est ni une extase permanente, ni un poids. Il est un oui profondément chaleureux, réconfortant.

Je ne passe pas mes journées à répéter que je les aime, je n’ai pas besoin de ce leitmotiv pour m’en convaincre. Je n’énumère pas en permanence leurs qualités, je ne les mets pas en balance avec leurs défauts pour analyser s’ils sont dignes ou pas d’être aimés. Je les aime tout simplement, en sachant que le fait de les aimer ne réglera pas les problèmes que j’ai par ailleurs et dont il me faudra m’occuper. Mais cet amour me confortera face à ces problèmes…

S’aimer consiste à entrer dans ce mouvement avec soi-même. À se dire oui, avec chaleur et bienveillance, de manière ouverte. Entièrement oui, et non pas en partie

Le défi est immense – aimer avec le cœur et non avec la raison est toujours un défi. Il est inattendu, surprenant et illogique comme l’est l’amour. Mais il est passionnant. Je m’aime comme je les aime. Avec lucidité. En m’agaçant parfois, en me trouvant par ailleurs formidable. En reconnaissant mes travers, mes erreurs, mais sans pour autant m’identifier à eux. « Je me suis comporté de manière idiote » ne signifie pas « je suis idiot ». C’est un changement de perspective essentiel, auquel nous devons tout de suite commencer à nous forcer.

« Je me suis comporté de manière idiote » focalise mon attention, ma culpabilité, sur le comportement que j’ai eu, dans telle situation. Un comportement qui ne résume pas la totalité de mon être! Je ne suis pas mauvais, mais je n’ai pas été à la hauteur. Parce que je me dis entièrement oui, j’ai envie de me transformer, de grandir.

« Deviens ce que tu es. » Parce que tu as du génie en toi. Car aimer quelqu’un, c’est l’aider à puiser dans son élan vital pour croître et devenir ce qu’il est réellement.

Le défi n’est pas d’être un saint ni un héros, mais d’être moi, ce que je ne suis pas souvent – par peur, par conformisme, par timidité, par ignorance. Qui suis-je ? Heureusement, je ne le saurai jamais de manière catégorique, ni définitive. Je suis un être mouvant, comme l’est la vie, comme l’est l’amour. Je resterai, pour moi, une énigme que je ne maîtrise pas entièrement mais que j’ai à écouter, à interroger. Le chemin est passionnant, il mérite de s’y engager…

C’est un très long chemin. Qui suis-je ? Cette question demande à être toujours posée. Ce n’est pas une interrogation philosophique, mais une quête très concrète : quand suis-je vraiment moi-même, quand suis-je vraiment Fabrice ? Y répondre est un coming-out.

Nous sommes tous tentés de taire des aspects de notre personne parce que nous les jugeons peu conformes à une pseudo-règle ou à ce qui est attendu de nous. Sortons-les de l’enfouissement où nous nous évertuons à les maintenir !

J’ai fait et continue de faire des coming-out. Le pas n’a guère été aisé à franchir sur le moment, mais, par le seul fait de me reconnaître et de m’accepter, j’ai été soulagé de poids plus ou moins importants qui, à force de s’accumuler, finissaient par peser bien lourd sur mes épaules.

Il m’a fallu un long travail pour me découvrir. Des tâtonnements, des essais, des erreurs. Sur certains points, j’imaginais que j’étais autre, mais j’étais à côté de la plaque : je trompais les autres et me trompais, au prix d’un inconfort qui ne me quittait pas.

Je me suis entièrement dit oui, comme une mère aime entièrement, et malgré tout, son enfant.

Je ne me dédouane pas de mes fautes, je les assume. Mais ces fautes n’ôtent rien à mon humanité, celle qui me rend digne d’être aimé.

Parce que bien peu parmi nous sont capables de s’aimer ! Il me reste moi-même du travail à accomplir sur ce chemin : la pente est toujours glissante et mon sens du devoir continue souvent de m’amener, sans m’en rendre compte, à me sacrifier au risque de me maltraiter, à m’en vouloir de ce que je suis plutôt que des actions que j’ai effectuées.

J’admets qu’il m’est parfois dur de m’aimer entièrement, de me dire un oui chaleureux et inconditionnel, de me faire pleinement confiance. C’est souvent provocant, troublant, déstabilisant. Néanmoins, il est bon que je sois, moi, mon meilleur ami.

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S’aimer n’est pas niais

L’amour s’apprend et cet apprentissage si libérateur, si profond, prend du temps. Ce n’est pas une performance à réussir, mais une initiation à un acte de survie. Ce n’est pas une pratique abstraite, mais une manière, d’autant plus profonde qu’elle est concrète, de transformer nos douleurs, nos émotions, nos difficultés, nos blocages, en ressorts pour avancer. De faire la paix avec notre vulnérabilité.

1- Je pense à une qualité que je possède et, à partir de là, je sens qu’il y a quelque chose d’aimable en moi, quelque chose que je peux aimer : je suis doux, je suis gentil, je suis agile de mes mains…

2- Je pense à une qualité que les autres m’attribuent et que je peux reconnaître en moi. Je prends le temps de la contempler.

3- Je pense à un acte bénéfique que j’ai accompli dans ma vie. Ne serait-ce qu’un seul acte à partir duquel je reconnaîtrai qu’il y a quelque chose de beau en moi.

4- Je sens en moi l’aspiration, le désir de m’aimer un jour même si je n’y arrive pas pour l’instant. Ce désir est déjà un premier pas, le signe d’un élément réel de bienveillance.

 

La pratique de l’amour bienveillant peut sembler simple. Je sais, d’expérience, qu’elle est explosive, dérangeante, bouleversante. Au fond, nous ne nous aimons pas mais nous ne nous en rendons pas compte. Nous n’avons jamais appris à nous aimer, nous avons même été interdits de l’amour tabou de soi, a fortiori quand nous nous sentons misérables, quand nous sommes fermés, égoïstes, colériques. Comment aimer cet être-là ? Est-il seulement digne d’être aimé ?

L’amour dont je parle, celui que nous enseigne le narcissisme, n’est pas aveugle, il n’est pas niais. Il n’est pas un blanc-seing que je m’accorde sur un coup de tête, mais un long chemin tapissé de bienveillance et de questionnements. Il est le regard de Narcisse qui, en reconnaissant son reflet, cesse d’être aveugle à lui-même. Il est le fruit d’une intelligence qui nous sort de l’ignorance, d’une curiosité bien plus saine que la négligence dont on fait habituellement montre envers soi-même. Il est l’amour intelligent qu’enseignait Socrate : s’aimer, c’est d’abord connaître ce qui, en nous, favorise la vie.

Au nom de l’authenticité, certains érigent leurs émotions en vérité. Or, les émotions sont parfois aussi fausses et égarantes, aussi trompeuses que peuvent l’être l’intelligence et même les perceptions.

Ainsi, sous l’effet de la colère ou de la jalousie, je peux avoir envie de changer de travail ou de quitter mon conjoint. Mais est-ce l’émotion ou mon être profond qui me dicte cette envie ? M’aimer implique de dépasser l’émotion pour me regarder de manière lucide, pour écouter mes réelles aspirations, pour prendre la décision qui me mettra en réelle conformité avec moi-même, avec ce que je ressens au plus profond de moi, avec ce que je suis vraiment, avec l’impératif de continuer à grandir pour continuer à vivre pleinement.

Si l’émotion nous égare parfois, la raison peut aussi nous tromper. C’est pourquoi j’ai aussi appris à me méfier des dogmes de la logique et de la rationalité – qui ne sont pas la raison, qui la travestissent et parfois même la ruinent.

S’aimer n’est pas niais. C’est avoir le courage de sortir de notre prison d’usures, d’habitudes, d’injonctions. C’est trouver, au fond de soi, la capacité de dire non, un vrai non, quand je prends conscience que ce que l’on me demande est inacceptable et que ce que je ressens est juste : je m’aime assez pour me faire confiance, je sais que je ne peux pas aller au-delà, par amour de moi. Les grands résistants ont été dans ce mouvement narcissique : à un moment, ils ont eu l’intelligence de dire non. Le courage, à l’inverse de la lâcheté, est un acte profondément narcissique : se faire confiance, croire davantage à ce que nous dit notre conscience que ce qu’affirment les discours dominants.

Une autre croyance erronée, mais tenace, m’est apparue au cours des sessions de pratique de l’amour bienveillant : on ne se retrouverait qu’en s’isolant. Erreur ! Je ne peux pas me retrancher de ma vie, de ce qui me fait vibrer ou m’agace, de ce qui me plaît ou m’ennuie, pour me découvrir.

Pour se rencontrer, il faut partir à l’aventure, faire des rencontres, éprouver ses capacités, ses possibilités, ses difficultés… C’est en parlant en public que je découvre que j’aime cela, non en y réfléchissant dans mon lit !

S’aimer n’est pas niais, c’est oser le possible en s’ouvrant à une fontaine d’amour. C’est dire oui par conviction, non par crainte de la vie. Nous avons appris à ne pas croire en nous, à calculer et mesurer les risques – et l’enthousiasme. À nous mépriser, à nous diminuer au nom d’une pseudo-lucidité. Mais est-on lucide quand on refuse d’ouvrir les yeux ?

M’aimer n’est pas niais : c’est un acte d’intelligence qui consiste à me dire oui, avec mes limites et ma médiocrité, mes possibles et mon humanité. Oui parce que je suis. Oui parce que je mérite d’être. M’aimer est une tâche de longue haleine, l’œuvre d’une vie. M’aimer est le point de départ du déploiement de ma vie…

Sachez vivre dans l’inaccessible

 

Je suis un être en projet dans lequel sentiments, émotions, pensées, souvenirs, impressions se révèlent, se retranchent ou se rajoutent. Je suis un être plein de surprises dont je n’aurai, et c’est heureux, jamais entièrement fait le tour.
Je ne cesserai de me surprendre…

Même nos enfants, que nous mettons au monde et élevons, que nous imaginons « connaître sur le bout des doigts », restent pour nous une énigme. Une « boîte à surprises ».

La boîte à surprises que nous sommes regorge d’intuitions, de créativité, de liberté qui nous restent inaccessibles tant que nous n’en avons pas fait l’épreuve, y compris dans les actes les plus simples de la vie.

Un désir, un projet, un rejet qui nous étonnent nous-mêmes, dont nous ne nous savions pas capables.

Notre tendance naturelle, fruit de siècles de moralisation et de culpabilisation, reprend le dessus et nous pousse à ressasser les échecs.

Car c’est là, le défi : je ne peux avoir confiance qu’en cet inaccessible qui m’habite. Je ne peux pas le contrôler, le gérer.

L’inaccessible dont je parle ici porte un nom : l’humain. S’aimer, c’est aimer l’humain en soi, la vie en soi, au-delà de l’identité étriquée avec laquelle nous nous obstinons à fusionner.

Elle est l’être humain en soi qui ne peut être défini, enfermé, encadré. L’être humain qui reste une énigme à lui-même, toujours inaccessible, toujours surprenant, même quand il essaye de se dissimuler derrière des étiquettes, son compte en banque, son physique ou sa position sociale, jusqu’à en perdre sa propre humanité.

Je n’ai pas d’identité définitive. Je suis adulte aujourd’hui, vieux demain. Je ne suis pas intelligent en toutes circonstances, j’alterne les envies de paresse et d’activité et j’ignore ce que je serai dans cinq ou dix ans. Je suis l’humanité en moi, mais cette humanité, nous passons notre temps à la maltraiter, au nom de nos identités.

Nous ne nous arrêtons pas, nous ne la reconnaissons pas, nous ne l’écoutons pas, nous n’écoutons pas ce dont nous avons besoin pour grandir. Nous renonçons et nous laissons dévorer par le Sphinx, c’est-à-dire par le cours de la vie. L’immuable nous rassure: nous préférons rester dans des rails tout tracés dont nous avons peur de nous écarter. Nous oublions que l’immuable n’existe pas. Par crainte d’un caprice, nous nous interdisons de nous écouter. De dévier, de prendre des chemins de traverse. Nous programmons notre vie, nous cherchons à tout contrôler, parce que nous avons peur de la vie.

L’inaccessible auquel je tends se découvre dans un équilibre subtil entre raison et émotions, entre sensations, intelligence et intuition. On n’y accède pas par des méthodes ni par des recettes prêtes à appliquer, mais par des essais, des erreurs, des recommencements. Par la confiance que l’on accepte, un jour, de s’accorder. Par la capacité à faire simplement attention à ce qui est là, en ce moment précis. La raison est légitime quand elle questionne en permanence, non quand elle est sûre d’avoir raison. L’émotion qui est sûre d’avoir raison cesse d’être juste. L’énigme du Sphinx, c’est l’unité retrouvée, au-delà de la raison, au-delà de l’émotion, au-delà des aires dans lesquelles nous découpons notre existence, ici le travail, là la passion, ailleurs la famille, ailleurs encore les envies. Je suis tout cela à la fois. L’inaccessible, c’est moi.

Qu’est-ce que cette inaccessible humanité en moi ? Je n’aurai jamais une réponse définitive, mais je ne briderai pas les réponses qui surgissent en moi. Ce sont des moments de ma vie, sans doute les plus beaux, où je me suis fait confiance et me suis déployé. Pour oser donner ma conférence en déchirant mon texte. Pour dévier du programme que je m’étais fixé – pour ma journée, mon week-end, mes vacances. Pour donner une autre direction à ma vie, plus conforme à ce que je suis. Pour dire oui entièrement, et parfois pour dire non.

Comment a-t-il fait ? Cette question lui a été posée par les médias du monde entier. Sa réponse n’a pas varié : « Si on veut réussir parfaitement l’exécution d’une pièce, on se retrouve à devoir sacrifier la musique. Le musicien se met en avant pour dire “ Regardez comme je sais bien jouer ”, mais il n’y a aucune musique. Parce que, quand on joue, on ne peut pas savoir ce qui va arriver. »

Debargue a réussi en étant juste avec lui-même, c’est-à-dire en étant profondément narcissique. Il a écouté ce qu’il porte en lui, il a pris conscience de ses capacités, de la musique qui l’habite. L’estime de soi, qui est une démarche intellectuelle, l’aurait dissuadé de participer à ce concours où, objectivement, il partait perdant. Son narcissisme, sa confiance, non pas en lui, mais en cet inaccessible qui est plus grand que lui, l’a amené à oser. Et il a joué pour lui, pour la musique. Il ne s’est pas posé de questions, il a irradié.

Vivre dans l’inaccessible, c’est s’habituer à se faire confiance sans raison. Accepter d’écouter en soi un quelque chose qui peut aller à l’encontre des usages, de la pensée dominante, de ce que les autres attendent de moi, mais qui n’est pas moi. Un quelque chose qui mérite au moins d’être écouté.

 

L’inaccessible n’est pas une technique, mais un chemin que nous évitons souvent d’aborder parce que nous nous méfions de sa simplicité. Je ne l’ai pas abordé en demandant de l’aide. Je m’y suis engagé en m’ouvrant. Aux autres, au monde, à moi-même…

« Il faut se désirer – se trouver infini pour vouloir être. »

Paul Valéry

De l’importance d’être beau et de prendre soin de soi

Nous ne nous interrogeons pas quand nous trouvons belles des personnes qui ne sont pas conformes aux canons imposés : elles sont trop vieilles, trop petites, ont un grand nez, des kilos en trop, et pourtant elles sont belles, au-delà de ce que les canons appelleraient des imperfections.

Notre culture, notre histoire, notre morale ont érigé la coquetterie en faute, et l’acte de se mirer en synonyme de vanité, donc en péché.

Nous sommes, en raison de notre histoire, imprégnés de l’idée de l’incompatibilité entre la beauté de l’âme et celle du corps, l’une faisant obligatoirement de l’ombre à l’autre.
Curieuse idée…

Notre tradition de dichotomie entre le corps et l’esprit, le matériel et le spirituel, donc le négligeable et l’essentiel, nous a amenés à partager le monde en deux clans, séparés par un fossé: les «narcissiques» obnubilés par leur personne physique, et les autres, les « sérieux », qui ne perdent pas un temps précieux à prendre soin d’eux. Aux premiers, les futilités : Sharon Stone est d’une intelligence supérieure ? « Ça ne se voit pas. » Aux seconds, nous accordons bien plus volontiers notre confiance, sans prendre la peine de juger s’ils en sont dignes. Cette opposition grotesque est l’une des raisons de notre malheur.

Porter ma nouvelle veste, assortie à une cravate que j’ai soigneusement choisie dans ma collection, me regarder dans un miroir et, même si je ne suis pas un mannequin, apprécier le résultat, me procure du plaisir, conforte ma confiance en moi. Marcher dans un parc et respirer l’odeur des roses. Oui, je prends soin de moi pour nourrir la vie en moi. Mon moi n’est pas qu’un esprit, il n’est pas qu’un corps : il est une unité incluant mon esprit et mon corps. En négligeant l’un ou l’autre, je maltraite l’humain en moi.

Reconnaître que l’on prend plaisir à s’occuper de soi reste pourtant considéré comme le summum de la vanité.

Suis-je beau ? Je l’ignore, mais je m’aime et je prends soin de moi. Depuis que je me suis dit oui, un oui absolu, je constate que mon apparence physique s’est drôlement améliorée.
Ce oui-là m’a libéré, il m’a guéri…

De l’importance de dire « je » et de parler de soi

Il raconte l’une des maladies les plus répandues de notre temps : la peur d’être soi.

Notre éducation nous a appris à bannir le « je », réputé égocentrique, au profit du « nous », dit de modestie. À nous dissimuler par politesse derrière une identité collective, et par prudence derrière un groupe qui nous protège.
« Je » ne pense pas, « nous » pensons.
« Je » ne vois pas, « nous » voyons. C’est le prix de la sacro-sainte mais tout à fait illusoire objectivité, le garant d’une mise au pas des singularités.
« Je » est l’ego honni qu’il faut tuer, un sujet de torture dans les groupes de méditation où de nombreux pratiquants s’intègrent avec l’idée de l’annihiler.

Lire n’est pas apprendre des informations, c’est interroger le texte, partir à l’aventure avec lui, le laisser nous parler, nous transformer réellement. La philosophie sans narcissisme, c’est du poison. La littérature sans narcissisme, c’est du poison. Le cinéma sans narcissisme, c’est du poison. Parce qu’ils ne me rendent pas vivant.

Mais les idées ne sont jamais singulières: ce que je pense, des millions de gens le pensent aussi. Par contre, ce que je sens, personne d’autre ne le sent. C’est seulement en exprimant cette singularité que l’on se détache de l’abstrait, du collectif, pour enfin aborder l’humanité. Ce renversement de perspective lui avait permis de libérer un talent qu’il avait immense.

« Je » n’a pas besoin d’être un savant pour révéler son génie. Car je ne suis pas uniquement génial de ce que je sais, je le suis aussi, voire surtout, de ce que je sens.
« Je suis génial » ne signifie aucunement que suis parfait, supérieur aux autres, plus intelligent, plus admirable ou doté de diplômes plus prestigieux.

Je suis génial parce que je suis un être humain et que je porte en moi le génie propre à chaque être humain. Je suis génial parce que je sais exprimer ce génie en réussissant ma tarte aux pommes, en développant une belle qualité d’écoute, ou un talent d’écriture, ou une capacité à transmettre et enseigner, ou une dextérité remarquable.

Je suis génial parce que je suis un enfant de cette Terre, parce que je ne suis pas parfait, parce que je ne corresponds pas à un modèle standard. Je suis génial parce que je suis tel que je suis. Parce que je suis unique et que je peux et dois me faire confiance.

« Je » n’est pas vanité.

Le vrai « je » est déconcertant. C’est un «je» qui m’habite et qui habite l’autre. Il me force à être vrai, à me mettre à nu. Il touche, au-delà de la singularité, au-delà de l’authenticité, l’humanité en soi et en ceux qui écoutent. Il nous concerne tous, ce « je », et c’est en cela qu’il nous captive. C’est un « je » qui ne parle pas forcément d’émotions, mais qui nous emmène à travers des territoires inconnus. C’est en « je » qu’un agriculteur m’a passionné pour la culture des pommes de terre, en « je » qu’un professeur de philosophie m’a rendu l’amour de cette discipline, en « je » qu’un éditeur m’avait autrefois converti à son métier. C’est un « je » où je m’implique profondément et où j’implique l’autre. Un «je» qui vibre, qui exprime mon être, qui me libère. C’est le «je» des personnages charismatiques, ceux devant lesquels tout le monde se tait pour écouter.

Or, être humain, c’est prendre un risque. « Je » est un risque. Il est le risque du « non », mais il est, en même temps, la seule chance d’être entendu, avec ses envies, ses désirs, ses projets, ses problèmes.

Quand j’ose le « je », même si l’on m’oppose un « non », je sais que j’ai enfin été entendu…

Parfois, j’ai peur de me mettre à nu, de dire vraiment ce que je sens, ce que je pense. J’ai peur que cela suscite le rejet, même si, je le constate, c’est presque toujours l’inverse qui se produit.

Se sacrifier pour les autres est une très mauvaise idée

Ne vous sacrifiez pas : c’est une très mauvaise idée.
Prenez plutôt le temps d’écouter ce dont vous avez besoin, ce dont vous avez envie, ce qui est important pour vous, prenez le temps d’être en paix avec vous pour parvenir à être réellement en rapport avec les autres. Vous prétendez ne pas avoir le temps ?
Ce n’est pourtant pas une question de temps, c’est une affaire d’attitude.

J’ai ainsi longtemps cru qu’avoir du cœur impliquait de se mettre à la place de l’autre. Non !
L’important est d’être ouvert à l’autre, ce qui est totalement différent.

L’amour n’est pas la dépendance. Il ne consiste pas à avoir « besoin » de l’autre, mais à être heureux avec lui, vraiment et pleinement présent à une relation dont nous nous nourrissons mutuellement.
Je t’aime profondément parce qu’il y a du commun qui nous lie.

Avoir enfin la force de s’engager

Le drame réel de notre société est l’absence de narcissisme. La honte du narcissisme.

Je suis devenu narcissique pour ne pas rester englué dans une identité – cadre, ouvrier, ambitieux, paresseux, gentil, méchant… Je suis devenu génial quand j’ai été suffisamment narcissique pour surmonter ce que j’appelais mes anomalies qui n’étaient que des singularités. Je n’étais ni égoïste ni paresseux mais, enfermé dans ma coquille, je ne m’autorisais pas à être. Je me croyais pauvre et je me suis découvert riche, plein de possibilités. Des forces de vie se sont libérées en moi. J’ai cessé d’être un bouchon de liège porté par les vents et se laissant aller avec passivité, je suis devenu fidèle à ce que j’avais découvert en moi.

J’ai pris acte de ces peurs : j’avais le droit d’avoir peur, j’avais même le devoir d’écouter ces peurs, elles font partie de la réalité de mon engagement quand il est nourri de moi. Je me suis obstiné, pour être fidèle à moi-même.
J’ai donné. Beaucoup.
Et j’ai reçu en retour. Beaucoup.

Je suis narcissique parce que je crois en moi, en mes capacités. Je suis narcissique pour oser faire ce que j’ai envie de faire. Je suis narcissique, donc je suis habité par un idéal qui me porte et me transcende.

À la propagande du management j’oppose le narcissisme de l’engagement. M’aimer, ce n’est pas me regarder le nombril, c’est accomplir ce qui me grandit pour rester vivant. C’est me reconnaître et toucher l’humanité en moi. C’est un travail de tous les jours.

Je ne me contenterai pas de la médiocrité…

Merci à Fabrice Midal pour ce livre qui peut surprendre par le titre mais qui explique clairement la priorité qui doit être en chacun de nous.

Merci à Alysson Detilleux pour les illustrations @aly_dessin

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